Un matin morne et pluvieux. Faut trouver quelque chose à faire avec la petite.
Et si on dessinait le plan de la maison?
L’enfant est enthousiaste. L’homme va chercher le ruban à mesurer, une grande tablette de papier quadrillé, des marqueurs. La petite apporte ses crayons.
Ruban à la main, il prend les mesures des pièces de la maison, aidé par sa petite, qui gribouille des coeurs et des lettres partout sur la feuille en même temps qu’il dessine au marqueur les murs, les portes, les fenêtres et les meubles.
En fin d’après-midi, l’homme montre le résultat à sa plus grande, à son retour de l’école.
– Et le plan est rigoureusement à l’échelle!
– Qu’est-ce que ça veut dire, à l’échelle?
– Attends, je vais vous montrer. Mais je dois vous mesurer avant. Colle-toi sur le mur.
Mesures en main, l’homme découpe une petite famille de silhouettes à l’échelle dans du papier construction noir. Papa, maman, grande soeur, petite soeur. Les enfants s’amusent avec les silhouettes sur le plan comme si c’était des figurines.
***
Le seul bruit qu’on entend dans la maison est celui de la télévision. Les enfants dorment profondément. Il est presque minuit : l’homme s’affaire à ranger la cuisine avant d’aller se coucher.
La tablette de papier quadrillé et les petites silhouettes de carton traînent sur le bord de la table. L’homme prend un moment pour s’asseoir et joue avec son bricolage de la journée.
Au lit, les silhouettes des enfants! Maman est déplacée sur la causeuse. L’homme est fasciné par la proportion exacte des figurines dans le décor miniature. Un vrai petit simulacre…
Perdu dans ses rêveries, il essaie de faire tenir debout la plus grande silhouette, celle qui le représente, sur le plan de la maison. Évidemment, elle tombe. Il la relève. Elle tombe. Il la relève. Elle tombe. Il la relève. Elle tombe…
…Et se redresse toute seule, comme sous l’action d’un aimant.
« Huh! Chantal, viens voir », dit-il en se retournant vers le salon où sa conjointe dort sur le fauteuil.
Dans son champ de vision, une grande silhouette noire, comme une découpe de néant dans le décor, se tient au même endroit que sur le plan.
L’homme sursaute et fait bouger la table en se levant d’un coup. La silhouette dans le salon disparaît aussitôt.
Son coeur battant au point de décrocher, l’estomac noué, l’homme jette un coup d’oeil à la table.
Sa main recouvre la zone du salon sur le plan. La retirant, il trouve la petite silhouette noire collée dans sa paume humide. Il la prend du bout des doigts mais le minuscule bout de carton lui échappe et tombe en tournoyant sur le plan. À l’endroit où il se trouve. La cuisine.
La petite silhouette en carton noir frémit… Et se dresse de nouveau.
***
Plus tard, sa conjointe s’éveille, ferme la télé, et se lève du fauteuil pour se diriger vers la chambre à coucher. Elle trouve l’homme assis à la table de cuisine, affalé sur une tablette de papier quadrillé.
-Tu devrais te coucher, toi aussi.
Il ne bronche pas, alors elle lui met la main sur l’épaule, et la retire vivement lorsqu’elle effleure la peau froide du cou de son mari.
Sur le plan de la maison, plus que trois silhouettes.
-FIN-
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