
3- Camille Sansfaçon
– Laisse moé t’dire, fille: dans le temps, c’était plus simple, être un agent de la paix. Notre job était simple: assurer l’ordre. C’était avant les codes de déontologie, les droits de la personne, pis toutte la patente. Fallait rentrer en quelque part? On rentrait. Fallait maîtriser un suspect? On le maîtrisait. Si y s’ramassait avec un oeil au beurre noir, ou un bras dans le plâtre, ça faisait pas de scandale, bout d’viarge, c’était normal. Astheure, tout est à l’envers. Y’a pu personne qui nous respecte. En plus, tu peux pu rien faire sans te faire taper s’es doigts. Toutte est compliqué, les procédures, les technicalités. Les pires crapules vont se faire acquitter en cour si t’as le malheur d’avoir oublié une virgule sur un mandat. Les témoignages des Psis sont même pas admissibles comme preuves, imagines-tu? Les lois sont épaisses. Veux-tu m’dire c’est quoi le message qu’on envoie à Monsieur, Madame Tout-le-Monde, quand les bandits sont pas punis pour leurs crimes?
– À vrai dire, on —
– Des fois, je regrette quasiment la création de la Régie par les péquistes. Quand les Supers étaient pas encadrés par le gouvernement, même si la justice était pas parfaite, au moins, y’avait du monde qui s’arrangeaient pour punir ceux qui passaient à travers les mailles. Pis l’Bon Yeu sait qu’y’en a d’la racaille à punir, à Dynamoville. Je l’sais parce que chu ici depuis les débuts.
– Ah bon.
– Certain! J’ai été engagé comme constable quand la ville était en chantier. J’connais Dynamoville comme le fond d’ma poche. J’ai patrouillé toué racoins pendant des années. Je connais les familles de truands sur trois générations. J’en ai vu, des affaires, comme patrouilleur, enquêteur, lieutenant, directeur pis astheure, chef de division du R.I.S.Q, comme tu m’vois là.
– Si on parle objectifs de carrière, bien pour ma part je souhaiterais —
– J’espère que c’est pas « devenir une vedette », hein? Tout le monde veut être une vedette de nos jours.
– Non non, en fait je —
– Tiens, regarde ça. Reconnais-tu c’est qui s’a photo?
– C’est Atlas, ça? En dix neuf cent soixante…
– Soixante-seize. C’est son ancien costume, avec une cape. M’a t’dire ben franchement, c’est du monde comme lui qui nous manque icitte. Du monde humble, du monde travaillant.
– Si on peut revenir à mon C.V., monsieur Sansfaçon, je voulais vous pointer que dans la section compétences j’ai mis–
– Ah, Maurice. Écoute, je l’ai connu à’ fin des années 60, dans le temps que j’étais patrouilleur. Ça, c’tait avant qu’y nous développe ses pouvoirs. C’était mon partner. Y sortait de l’Académie.
J’le revois encore: un grand gars gêné, les cheveux en brosse, les joues rouges, les oreilles décollées. Y’avait un regard franc, sans malice. Une bonne poignée de main. La première fois que j’l’ai vu, j’me suis dit: y va aller loin, c’te gars-là. J’aurais du mettre un vingt là-dessus!
Mais en plus d’être un bon patrouilleur, c’était un gars tellement serviable. Y’allait chercher les cafés, y lavait les auto-patrouilles, y’allait mettre du gaz, sans qu’on y demande. Y avait rien de têteux dans sa façon de faire: c’était pas pour se rendre important, c’était pas pour gagner des faveurs. C’tait un gars qui aimait rendre le monde heureux. Dans un sens, y’était smooth comme de l’huile à moteur. Quand y’était là, tout roulait comme faut.
Pis t’sais quoi? Même avec une statue dans le hall de la Gare Centrale, y’est resté le même gars qui lavait les auto-patrouilles sur ses heures personnelles. Un crisse de bon gars. C’tu dommage qu’y ait perdu la seule femme qu’y’avait jamais aimé dans un accident de char. Y s’en est jamais vraiment remis.
– Mon Dieu. Je savais pas ça…!
– Sais-tu, fille, m’a t’conter ça une autre fois. Là, j’ai un meeting qui commence dans deux minutes, mais on va avoir le temps en masse de s’jaser dins mois qui viennent.
– Dans les– vous voulez dire… je suis engagée?
– Bienvenue dans le R.I.S.Q, ma grande. Tu commences demain. Passe aux ressources humaines pour remplir le reste de la paperasse: c’est au 2e, bureau 221.
– Merci, monsieur Sansfaçon! Oh, merci. Vous le regretterez pas, je le jure.
– Je l’sais. Oh, attends minute! Avant de descendre, irais-tu m’chercher un café dans machine à côté de l’ascenseur? Deux sucres, pas de lait. Tu serais ben fine.
Filed under: Dynamoville, Textes | 6 Comments »